Le Sénégal pourrait tirer profit du dividende démographique. Du moins si les autorités augmentent leur niveau d’investissements dans les secteurs sociaux comme l’éducation et la santé. C’est l’analyse livrée par la Représentante-résidente de l’Unfpa au Sénégal, Andrea Wojnar Diagne, qui est en fin de mission. Elle dégage les pistes de solutions pour faire reculer la mortalité maternelle dans notre pays.
Quel bilan tirez-vous des actions de l’Unfpa au Sénégal depuis votre prise de fonction en 2014 ?
Ces trois ans ont été un fort moment de sensibilisation des populations. Nous avons abordé les sujets vulnérables et nous avons touché les couches les plus vulnérables de la population. Je peux citer les campagnes « Ne touche pas à ma Sœur », «Fagaru Jotna», « Carton rouge contre les mariages précoces ». Nous avons pu mobiliser la jeunesse sénégalaise pour parler de diverses problématiques. C’est une période de grande sensibilisation grâce aux médias sociaux et aussi par les autres approches.
Depuis mon arrivée, nous avons beaucoup travaillé sur le dividende démographique et sa capture avec le gouvernement du Sénégal. Nous avons aidé le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan à entreprendre une étude et une analyse démographique et financière très profonde sur comment le Sénégal peut bénéficier de sa population très jeune pour une capture du dividende démographique. C’était une étude multisectorielle. Il y avait des représentants de cinq ministères différents et des experts. Nous voulons au Sénégal un schéma lui permettant de faire des investissements. Si le Sénégal maintient le niveau actuel des investissements, il ne pourra pas tirer profit du dividende démographique. Si le Sénégal investit plus dans la croissance économique comme il est en train de le faire avec le PSE, sans investir autant dans le secteur social, c’est-à-dire l’éducation, la santé et surtout la planification familiale, cela risque de remettre en cause des actions entreprises par des autorités. C’est difficile d’atteindre les objectifs des investissements en mettant de côté le social. C’est bien de créer de la richesse. Mais si elle n’est pas fondée sur une société équitable, si elle n’est pas accompagnée avec une population bien éduquée, bien encadrée, bien canalisée, cela est très incertain.
Donc, avec cette étude et cette analyse, nous pensons que nous avons accompagné le gouvernement du Sénégal. La jeunesse, les religieux, les parlementaires, les institutions académiques ont commencé à appréhender les enjeux. Le travail est loin d’être fini. Mais le Sénégal est sur le bon chemin. Le Sénégal était parmi les premiers pays à investir dans ces études.
Est-ce que le Sénégal peut arriver un jour à réduire le taux de mortalité maternelle ?
Je suis convaincue que le Sénégal a la volonté. Et les autorités savent ce qu’elles doivent faire. Donc le défi ce sont des investissements. Le Sénégal a beaucoup investi dans ses offres de services, notamment les soins obstétricaux qui ont permis de réduire la mortalité maternelle et infantile. Il y a aussi d’autres facteurs. Le Sénégal a aussi beaucoup investi dans la planification familiale. Le taux est passé de 12% à 21%. C’est beaucoup en l’espace de quatre ans. Mais il reste beaucoup à faire. Si le Sénégal veut atteindre les 45% en 2020, il va falloir accroître les investissements, renforcer la sensibilisation. Chaque partie a ses préoccupations. Pour le ministère de l’Economie, le souci c’est la rentabilité économique. Mais c’est à nous de leur montrer les enjeux d’investir dans la planification familiale, de leur faire savoir que le retour d’investissement est énorme. Nous devons aussi insister sur la sensibilisation des religieux. Les religieux sont très ouverts lorsque nous abordions ces questions avec eux. Ils sont au courant des infanticides et des avortements.
L’Unfpa travaille avec beaucoup d’organisations sur la sensibilisation. Si une fille est scolarisée, elle a 10 fois plus de chance d’avoir un avenir meilleur. Nous savons aussi une fille qui est à l’école a plus de chance de ne pas se marier tôt. Il y a même une étude qui est sortie qui parle de l’impact des mariages précoces sur l’économie. Donc il ne s’agit pas seulement de protéger la jeune fille, la réputation de la fille et des familles. C’est aussi une question de survie. Il faut que le gouvernement et les autres puissent trouver des voies et des moyens pour que les filles restent à l’école.
Vous avez aussi défendu le relèvement de l’âge de mariage des jeunes filles…
Le Sénégal a signé des conventions. C’est comme les questions de mutilations génitales, nous ne pouvons pas avoir des changements sans sensibiliser les personnes sur le long terme, sans comprendre leurs préoccupations et sans leur offrir d’autres options. En somme, le Sénégal est sur la bonne voie. Mais, avec un peu de coordination et d’organisation, nous pouvons obtenir de meilleurs résultats. Nous avons au Sénégal des hôpitaux qui ont partiellement tout ce qu’il faut. Soit ils ont le personnel, soit les équipements, soit ils ont d’autres matériels. Il y a très peu d’hôpitaux qui ont tout. Le ministère de la Santé travaille sur une cartographie pour voir là où il faut mettre davantage d’investissements, comment les consolider. Et comment un nombre d’établissements fonctionne à 100 %. Ce n’est pas seulement le ministère de la Santé. C’est aussi une question politique. Il faut une harmonisation et une rationalisation des investissements.
Vous avez visité les régions de Matam et de Saint-Louis où le taux de mortalité maternelle reste élevé. Sur quels aspects faudrait-il insister pour réduire cette incidence?
Il faut des actions multisectorielles. Ce n’est pas seulement une question d’équipements. Il y a des considérations logistiques qui font que les femmes ne peuvent pas arriver à temps au centre. Parfois ce sont des questions d’alimentation et de nutrition. La proportion de mortalité liée à la malnutrition est encore élevée. Or si vous demandez la cause, certains vous diront d’autres choses. Ils vont dire que la femme n’a pas été bien traitée à l’hôpital. Il faut aussi des investissements dans l’agriculture et dans l’éducation. Ce n’est pas uniquement une question de santé. Il faut une approche multisectorielle pour infléchir la courbe de la mortalité maternelle. Il faut aussi mobiliser le secteur privé et les collectivités locales parce que ce sont des populations rurales qui ont plus besoin des services de santé. Les partenaires comme l’Unfpa doivent continuer à investir sur la santé des populations en renforçant les capacités des ressources humaines au niveau local. Il faut aussi penser à la motivation des agents qui travaillent dans les zones reculées pour qu’ils restent sur place.
Le Sénégal a accompli des progrès dans le domaine de la planification familiale…
Le Sénégal a réalisé des progrès. Mais il faut mettre en place de nouvelles stratégies en allant vers la jeunesse. Aujourd’hui, la mortalité maternelle touche beaucoup plus les jeunes que les adolescents. Beaucoup d’entre eux ne bénéficient pas de soins médicaux nécessaires. Il faut renforcer les capacités du personnel médical pour mieux répondre aux besoins des jeunes mères. Il faut aussi que le Sénégal travaille sur les statistiques parce que les autorités sanitaires ne disposent pas de bons chiffres sur la santé de la mère, des jeunes et des adolescents. Beaucoup de jeunes perdent la vie en donnant naissance car ne maîtrisant pas les règles élémentaires d’une grossesse, notamment les visites prénatales.
Il y a eu beaucoup de campagnes contre les mutilations génitales féminines. Est-ce que l’horizon pour l’élimination est proche ?
Selon les statistiques du programme conjoint mondial pour l’accélération de la lutte contre les mutilations génétiques féminines, le Burkina Faso et le Sénégal sont deux pays qui ont le plus accompli de progrès dans toute l’Afrique de l’ouest en matière de lutte contre les mutilations génitales féminines. Donc, le Sénégal est sur la bonne voie, même si l’on note qu’il y a plus d’engagement politique au Burkina Faso qu’au Sénégal. Les leaders religieux et politiques du Burkina sont beaucoup plus impliqués que ceux du Sénégal, surtout dans la sensibilisation. Il suffit de peu d’efforts pour que les mutilations disparaissent.
Ne faudrait-il pas mettre en avant l’argumentaire médical pour convaincre des leaders religieux et des hommes politiques sénégalais ?
Bien sûr ! L’argument fait partie de nos armes pour convaincre la masse à abandonner cette pratique. En plus, nous avons les arguments économique, moral et éthique. Mais ce n’est pas facile, parce qu’il y a des gens qui croient encore aux pratiques telles que l’excision. Certaines personnes m’ont même dit qu’elles n’ont jamais vu une femme mourir à cause des mutilations génitales. Nous devons continuer à sensibiliser ces personnes sur les conséquences de cette pratique en trouvant des mots justes parce que les femmes continuent de souffrir à cause de l’excision.
Les fistules obstétricales restent encore une problématique au Sénégal. Qu’est-ce que vous préconisiez pour inverser la tendance ?
La question des fistules obstétricales devraient être faciles à régler au Sénégal parce que personne ne veut voir une femme souffrir de cette anomalie. Tout le monde est contre les fistules. C’est un problème facile à régler. La solution est encore une fois multisectorielle. L’implication de tout le monde est nécessaire.
Les chefs d’Etat africains ont pris des engagements en ce qui concerne le dividende démographique à Addis-Abeba lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement. Avez-vous espoir que les choses bougeront ?
Il y a de plus en plus une prise de conscience en Afrique. Lorsque je suis arrivée au Sénégal, il y a trois ans et demi, les gouvernements ne s’intéressaient pas à la question du dividende démographique. Pourtant, ils connaissaient ce concept depuis une vingtaine d’années. Mais ce n’était pas exploité. Ce n’était pas à l’ordre du jour. Chaque chose a son temps.
Aujourd’hui, les chefs d’Etats et de gouvernements sont prêts à mettre en pratique ce concept et à capter les bénéfices du dividende démographique. Mais il faut continuer le travail de sensibilisation auprès des religieux, des politiciens et des hommes d’affaires. Nous devons tous aider les dirigeants africains à savoir où ils doivent investir pour le futur de leurs pays. Au Sénégal, nous n’avons pas noté une forte mobilisation ou des déclarations des autorités sénégalaises. Mais sur le plan technique et sectoriel, beaucoup d’éléments du dividende démographique sont pris en compte par l’Etat du Sénégal. C’est ce qui est d’ailleurs important. Il faut que chaque pays aborde la problématique du dividende démographique à sa manière. L’essentiel est que les politiques liées au dividende démographique soient mises en œuvre.
Vous avez assisté au Sénégal à la polémique sur la question de l’avortement avec des positions des chefs religieux. Quelle est la position de l’Unfpa sur cette question ?
Le Fonds des Nations Unies pour la population (Unfpa) n’est jamais favorable à l’avortement. L’Unfpa est toujours pour le choix de chaque individu. Nous sommes favorables à ce qu’une femme enceinte suit ses visites prénatales jusqu’à l’accouchement. Nous respectons les valeurs des sociétés, les lois de chaque pays. Cependant nous militons pour la contraception qui devrait aider à mettre fin aux avortements et aux infanticides qui sont souvent les causes d’emprisonnement de beaucoup de femmes. Il faut que nous arrivions à trouver des solutions à ces problèmes.
Vous dites souvent que le Sénégal a une population jeune, malheureusement elle est confrontée aux problèmes de chômage. Qu’est-ce qu’il faut faire ?
Le système des Nations Unies aide le Sénégal à pouvoir équilibrer ses plans d’investissements. C’est bien d’avoir une bonne croissance économique, mais si elle n’a pas un impact positif sur la population, en particulier sur les jeunes, cela ne servira à rien. C’est aux agences du système des Nations Unies d’aider le Sénégal à obtenir de bons résultats, parce que beaucoup de projets de développement sont lancés dans ce pays. Il faut aussi impliquer les jeunes dans la prise de décisions engageant leur avenir. Ces jeunes ont besoin aussi d’encadrement, car ils sont des leaders du futur.