L’AFRIQUE POST COVID 19 : Le double défi de la réalisation de l’unité des peuples et de la réforme de l’Etat post – colonial
La pandémie du Corona virus 19 et son impact dans tous les domaines de l’activité humaine ont engendré un certain nombre de réponses que certains appellent « un changement de culture ». En effet, partout dans le monde, par instinct de conservation, dirait-on la sauvegarde de la vie humaine a prévalu sur la recherche des biens matériels. Selon le psychiatre et psychanalyste Boris Crylnik les peuples ne doivent plus laisser leurs dirigeants repartir comme avant, à la fin de la crise qu’il appelle d’ailleurs « catastrophe ». En tous les cas l’Afrique doit tout mettre en œuvre pour sortir de la situation de ghetto où l’Occident et (accessoirement) l’Asie a largement contribué à la confiner depuis des millénaires.
A ce sujet, l’histoire semble se répéter, en ce sens que dans la longue durée il y’a la permanence des données : la volonté de puissance et de richesse de nos voisins, l’abondance et la diversité de nos ressources naturelles mais il y’a aussi notre résilience d’Africains. Ce qui a changé ce sont les circonstances de temps, et c’est très important ! Car forts de ces expériences faites de malheur et de déshonneur plutôt que de reconnaissance par les autres de notre dignité d’homme nous pouvons changer notre situation actuelle parce que l’histoire est aussi un instrument de libération pour celui qui a la conscience de sa propre évolution. Il s’agit de se débarrasser de cet héritage lourd de notre passé avec les autres par un « ndeup » ; une psychothérapie libératrice ; autrement dit en refusant d’être les éternelles victimes et en orientant nos esprits vers la vraie reconnaissance de notre dignité d’homme.
I : Africains ! Portons les masques et faisons les gestes barrières
La maladie du Covid 19 est survenue en ce moment même où l’Afrique, longtemps traitée de « continent pauvre », « sans histoire », « pas civilisé » , « sans gloire », « sans héros » est redevenue l’objet de l’attention de ces anciens bourreaux qui se projetant sur le futur dans le cadre de cette perpétuelle rivalité pour la puissance et la richesse des nations, cherchent à séduire les Africains pour de nouveau mettre la main sur les richesses de leur continent sans commune mesure avec celles que recèlent les leur. Ainsi d’aucuns parmi ces gens – là déclarent que les images dégradantes sur l’Afrique sont « révolues » car disent –ils, il y’avait quand même des empires au Moyen âge sur le continent noir, il y’a eu des réussites « scientifiques » et « techniques » : avec l’astronomie dogon, certains « procédés thérapeutiques » comme le « vaccin » antivariolique des prêtresses du Vaudou, le culte de possession pratiqué par les Lèbous du Sénégal pour guérir les maladies neuropsychiatriques (ndeup en Wolof).
On sait que « l’inventivité culturelle des Africains » (musique, danse, sculpture) est reconnue, depuis l’âge d’or de l’anthropologie structurale. Bref, pour ces gens prétendument amoureux de l’Afrique, celle-ci est subitement devenue « la terre bénie de Dieu », « le nouvel eldorado », « le continent des enjeux énergétiques », « une des bonnes nouvelles de l’économie mondiale » etc. On ne tarit pas de propos flatteurs pour le continent noir. C’est donc la déconstruction ! Ce qui veut dire la défaite de la pensée logique, l’effondrement même de l’esprit rationnel. De leur côté, les Chinois déjà très présents sur le continent parlent « de grands projets avec l’Afrique » et mettant en exergue leurs investissements considérables dans le domaine des infrastructures, ils vantent leur esprit d’ingénierie, pour accroitre leur influence. Tout cela doit nous rappeler le renard et le corbeau de la fable. En effet, les déboires subis depuis les indépendances doivent instruire nos dirigeants de l’immoralité et de l’amoralité (Aron) de la politique internationale et les amener à accomplir leur devoir avec une forte dose de patriotisme, de lucidité, de courage et d’abnégation. Ceci malgré la complexité de la situation actuelle caractérisée par la pauvreté qui règne sur le continent et la trop grande dépendance (économique, financière, commerciale, politique, voire culturelle) de nos micro-Etats vis-à-vis des puissances étrangères qui nous prennent à la gorge.
Mais il n’y a pas que cela : ce regain d’intérêt pour notre continent s’accompagne de l’idée sournoise et cynique de réduire drastiquement sa population jeune dont la croissance rapide est un sujet d’inquiétude pour les pays occidentaux qui eux connaissent actuellement le vieillissement démographique et donc la diminution progressive de leur population. En effet, concernant le rapport entre la population mondiale et les ressources disponibles, les projections n’incitent guère à l’optimisme. Or, l’Afrique sera une des toutes premières puissances démographiques de la planète. A défaut pour les Européens de pouvoir envahir notre continent comme par le passé, certains esprits racistes et alarmistes pensent qu’il faut tout mettre en œuvre pour empêcher que le surpeuplement pousse les Africains à « envahir » dans un proche avenir les pays du Nord par le biais de l’immigration massive dont les prémices récentes sont le « Barça » ou « Barsax » (l’Europe ou la mort) et les Africains en transit en Afrique du Nord. Donc, le spectre de l’Afrique surpeuplée et prête à déverser son trop-plein sur l’Europe hante certains esprits. Ce n’est donc plus le « péril jaune » des années 1960, puisque la Chine est devenue riche mais un « péril noir » qu’on ne dit pas tout haut. Voilà les fantasmes qui envahissent les esprits. Et tous les moyens sont bons pour parer à toute éventualité : la persuasion par des campagnes pour l’utilisation des méthodes contraceptives, la limitation des naissances, la stérilité mais aussi l’accès des grandes étendues de terre arable sur le continent.
Mais ce qui est plus grave si c’est un fait avéré, c’est que ce qui aurait dû servir exclusivement comme arme de dissuasion dans les rivalités entre les grandes puissances (à savoir les laboratoires de virologie) serait utilisé pour endiguer l’expansion démographique de l’Afrique. Il en serait ainsi avec la propagation du VIH SIDA en Afrique et plus récemment l’apparition du virus Ebola en 2014 avec son extension curieusement limitée au seul continent noir…
II : EN GUISE DE DECONFINEMENT : L’unité africaine comme réponse à la marginalisation
Quoi qu’il en soit il apparait que le covid 19 est un puissant facteur d’unification des élites intellectuelles africaines qui ont saisi l’occasion, transcendant les barrières linguistiques pour réfléchir et agir à l’unisson et manifester leur solidarité et en même temps montrer à la face du monde (surtout à leurs homologues) leur volonté de voir reconnaitre leur égale dignité d’homme (et de femme) avec les Blancs et les Jaunes et donc d’être traitées sur un pied d’égalité. Il n’en fallait pas plus pour que cet élan panafricaniste naisse et s’affirme après les prédictions catastrophistes annoncées sur l’Afrique, la mise à l’index d’immigrants africains comme bouc émissaires, accusés d’avoir propagé la maladie en Chine ; l’incurie dont l’OMS a fait preuve concernant l’Afrique avec Ebola puis avec Covid 19. De nombreuses voix s’élèvent sur notre continent pour demander de hâter le processus d’unification politique jusqu’à la suppression des frontières et la mise sur pied d’une fédération africaine. Celles dont rêvaient Kwame Nkrumah et Cheikh Anta DIOP et d’autres avant eux ; des Noirs de la diaspora.
En effet, créer un Etat fédéral qui regrouperait nos micro-Etats c’est favoriser l’émergence d’une puissance politique africaine capable de tenir tête à celles qui mènent le monde ou aspirent à le faire. Mais le chemin est plein d’embûches. L’Etat-nation s’est ossifié en Afrique et l’égoïsme national avec, et l’absence de convictions panafricanistes chez la plupart de nos dirigeants constituent une barrière malgré l’exigence de renforcement de l’interdépendance pour améliorer la condition des peuples africains. Il y’a surtout l’attitude des grandes puissances étrangères qui depuis nos indépendances nominales ne cessent de décourager toute politique destinée à favoriser le développement de nos pays pour nous enferrer dans une situation d’éternelle dépendance. Tout cela fait sous le voile du discours idéologique relayé par de puissants et influents médiats et des organismes d’intégration portant le manteau de défenseurs des droits humains. Instruits par les vicissitudes du passé et résolument tournés vers la transformation de notre condition de Noir africain nous ne devons pas transiger sur les moyens de parvenir à ce noble objectif. Lorsqu’un peuple prend la résolution de vivre il brise les chaines de la domination. Dans cette perspective, la poursuite de l’idéal panafricain doit se faire concomitamment avec une réforme de l’Etat-nation issu de la décolonisation. Presque partout sur le continent la république a été choisie comme forme de gouvernement. Or, la forme républicaine de l’Etat calquée sur le modèle européen n’est pas en adéquation avec nos réalités sociales et culturelles. De la même manière, la démocratie parlementaire aussi a été plaquée sur nos sociétés. Or, chacun a « le droit de combiner librement sa participation à un monde désirable et les multiples facettes de son identité » (A. TOURAINE). Voila qui est bien dit.
III : REFORMER L’ETAT-NATION EST UNE EXIGENCE
Cette greffe de la modernité (réalisée par le colonisateur et qui a tenu après son départ) sur nos formes de sociétés traditionnelles a engendré un clivage entre une minorité formée par les élites intellectuelles sorties de l’école moderne instituée par l’administration coloniale et une large masse de gens analphabètes ou illettrés. Le Sénégal, la plus ancienne colonie française d’Afrique noire a connu une évolution spéciale que nous analyserons assez brièvement à travers le gisement de l’espace d’expériences saint -Louisien. Mais avant, nous examinerons la démocratie en Afrique à la loupe de deux auteurs africains qui appartiennent à deux générations différentes. Il s’agit du Sénégalais Ousmane Blondin DIOP (1982) et du Gabonais Elysée Eyène MBA (2002). Celui-ci généralise son jugement, Celui-là se penche sur le cas du Sénégal. Mais tous sont d’accord pour dire que la démocratie en Afrique est conçue pour servir les intérêts des élites au détriment des peuples : « La démocratie en Afrique repose sur le principe faux que le gouvernement élu est libre de gérer la nation selon ses caprices parce qu’il est l’expression de la majorité. Cette vision politique débouche sur l’emploi abusif du pouvoir de contrainte dans la mesure où celui-ci n’est pas exercé pour la sauvegarde de l’intérêt général mais plutôt pour la satisfaction des intérêts particuliers » (Elysée Eyène MBA) (1) ; « L’accession à l’indépendance développera une même conception de la politique (au sein des partis politiques à l’exception du PAI marxiste : c’est nous qui soulignons) : celui qui a le pouvoir peut en user et en abuser sous toutes les formes. Il favorise son clan, sa famille, ses amis et sa puissance repose sur une clientèle qu’il entretient aux frais de la collectivité » (Ousmane Blondin DIOP) (2).
Cette conception de la politique et de la démocratie en fait une source de division. Elle annihile l’élan patriotique et favorise la corruption, les détournements de deniers publics. Elle a élargi le fossé entre élites et classes populaires. En même temps elle a créé un antagonisme permanent au sein même de la classe politique. D’où les sempiternelles dissensions qui accompagnent les conflits où l’on met en avant la personne du leader plutôt que son programme et ses idées. Une situation que l’on peut constater partout sur le continent. Ce qui a beaucoup retardé l’éradication de la pauvreté ou accentué la paupérisation des masses (c’est selon) favorisant l’enrichissement et la reproduction de l’élite minoritaire. Pour mettre fin à ce « mimétisme aveugle »il urge donc de promouvoir les langues nationales au rang de langues d’enseignement dans les systèmes éducatifs avec des objectifs et programmes qui promeuvent la liberté mais aussi le développement de l’esprit scientifique dans la perspective de reprise de l’initiative historique (Cheikh Anta DIOP).
Après quoi, tout sera possible : «la tropicalisation » de la démocratie, l’éclatement de notre génie créateur, l’industrialisation du continent. Dans ce cadre de reconstitution de notre identité culturelle, l’autre exigence sera la restitution de leur cohérence interne à nos systèmes de valeurs (cultures) désorganisés par les colonisateurs. Ceci devra se réaliser avec les emprunts culturels nécessaires à notre réel enrichissement.
IV : LE MODELE SAINT LOUISIEN
Il est difficile d’étudier en quelque lignes l’évolution qui fit de l’ancien comptoir français dénommé St -Louis-du Sénégal la ville chef-lieu de la colonie Sénégal cumulant momentanément cette fonction avec celle de capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF) puis avec celle de capitale de la Mauritanie. Cette évolution eut lieu du XVIIe au XXe siècle en deux étapes : le temps du mercantilisme (1643 – 1817) et celui de la domination coloniale (1817 – 1960) dans un espace où vécurent deux communautés sur la base de relations matérielles. De part et d’autre du comptoir les négociants français à l’aile sud et les traitants Africains au nord, ces derniers échangeant des cuirs, des peaux, de l’or, des esclaves et à partir du XVIIIe siècle la gomme arabique principalement contre des tissus, des barres de fer, des armes, des pacotilles etc…
Chacune des communautés allait s’accroître mais de façon inégale : autour des Blancs des Métis et Noirs assimilés les gens étaient beaucoup moins nombreux que dans le quartier des traitants africains, des petits commerçants et artisans qui formaient autour d’un noyau wolof du Walo et du kajor un creuset où au fil des siècles venaient sans cesse se fondre presque toutes les ethnies du Sénégal et avec la colonisation effective de notre pays et de l’AOF ; des ressortissants de l’actuel Mali, de la Guinée Conakry, de la Mauritanie.
Outre les habitants du Nord auxquels il faut ajouter la présence permanente de familles de maîtres coraniques maures, Wolof, Tukuler, la communauté africaine était composée de pêcheurs et de piroguiers (qui aidaient les passagers des navires à débarquer) de Guet Ndar et par suite, de Goxu Mbacc face à la mer et au nord, des agriculteurs de Sor. Elle trouvait son homogénéité dans la langue wolof ; le mode de vie africain et surtout l’Islam pour les traitants commerçants et artisans.
Au temps du comptoir, les Français se contentaient de prêcher l’ouverture à la modernité par l’exemple, pour « assimiler » les Africains, les amener à adopter le mode de vie européen (lotissement de l’Ile, construction d’édifices au Sud, hygiène, goûts, principes …)
Mais jusqu’au début du XIXe s, le quartier Sud (Sindoné) moins peuplé, était celui des chrétiens et le Nord (Lodo) plus peuplé celui des musulmans.
A partir de 1817, les Gouverneurs français eu égard à la volonté de coloniser le Sénégal, utilisèrent d’autres instruments de la modernité en plus de ceux antérieurs : l’école moderne (en 1819 avec la laïcité puis l’école des Missionnaires et en 1855 réintroduction de la laïcité à côté de l’école Missionnaire, le Code civil 1830 ; l’édification de la 1ere Église d’Afrique occidentale en 1828, d’autres équipements civils : tribunal ; hôpital ; écoles). Par le principe de la participation des Africains « évolués » à la gestion de leurs propres affaires ; l’administration coloniale entendait convaincre, persuader et amener un nombre de plus en plus important d’indigènes à collaborer en toute spontanéité à l’entreprise de colonisation. Ainsi, les institutions politiques métropolitaines dont l’introduction au Sénégal fut réclamée par les négociants blancs et métis : le Conseil Général (1840 puis 1879), la Représentation parlementaire (1848 puis 1872) et la Commune de plein exercice (1872 St Louis et Gorée ; Rufisque 1880 et Dakar 1887) pouvaient compter des indigènes citoyens français parmi les hommes qui les animaient.
Les traitants et les membres citoyens de leur communauté qui habitaient les faubourgs de Guet-Ndar, Sor et à partir de 1884, les citoyens de Goxu Mbacc s’accommodèrent à la nouvelle stratégie mais réussirent à obtenir les moyens qui leur permirent de préserver leur identité d’Africains et de musulmans. Après l’érection de l’Eglise dans le quartier Sud, les traitants demandèrent l’autorisation de construire une mosquée dans leur quartier : celle-ci fut érigée de 1844 à 1846 sur le plan d’un architecte de l’administration. Ils obtinrent ensuite l’institution d’un tribunal musulman (1856) pour les affaires entre indigènes et aussi les mariages, successions etc. Après l’experience réussie en 1819 par l’instituteur Lillois Jean DARD le rétablissement par Faidherbe de l’école laïque fut une nouvelle occasion pour les enfants musulmans de fréquenter l’école moderne. Enfin une Medersa (école franco-arabe) fut ouverte dans la ville au début du XXe. Cette politique d’ouverture destinée à combattre leur attitude « pro-musulmane et antifrançaise » (Mamadou Diouf) renforça plutôt leur attachement à leurs valeurs et à leurs croyances.
Ainsi l’espace st-Louisien, laboratoire de la modernité en Afrique noire put devenir un point de passage obligé dans leur parcours pour les cadres (les tout premiers en Afrique noire) et intellectuels tous originaires des quatre Communes ou venus de divers horizons du Sénégal et d’ailleurs. Le modèle st-Louisien est caractérisé par l’esprit d’ouverture sur la base de l’attachement profond aux principes et valeurs des cultures négro-africaines et aux convictions religieuses musulmanes. Et par conséquent le refus de la non-reconnaissance de cette identité.
Ainsi donc, des Africains musulmans vécurent pendant plus de 300 ans sans perdre leur âme dans un espace restreint avec des chrétiens (Blancs, Métis et Noirs assimilés) ; dans le respect mutuel de leurs différences, avec en partage les instruments de la modernité : l’autorité administrative, l’école moderne, les inventions techniques, la république, la démocratie, les institutions politiques et administratives, l’armée…
Poussant la logique jusqu’au bout la génération actuelle de dirigeants politiques sénégalais s doit faire ce que celles qui l’ont précédée depuis les indépendances n’avaient pas réussi à faire : s’approprier ce passé en « en retrouvant l’esprit qui permet de faire d’aussi grandes choses … » (P. Valery). Autrement dit, instruits par l’expérience saint-Louisienne, accommodons le contenu de la république et de la démocratie occidentale à nos traditions revues à l’aune des exigences de notre temps. « L’Etat africain ne devrait pas rechercher son substrat dans une hypothétique cohésion nationale mais plutôt dans l’hétérogénéité qu’il parviendrait à gérer en réalisant un compromis sur les institutions » (Babacar GUEYE : constitutionaliste). En effet, avec l’abandon du jacobinisme et le retour aux valeurs africaines de solidarité, de partage et de participation à la vie collective et un souci de satisfaire aux exigences de notre époque, nous éviterons le gâchis que constituent l’exclusion et la dispersion des intelligences et des énergies, les frustrations et les rancœurs si préjudiciables à l’œuvre de construction nationale et à la réalisation de l’unité africaine. Le Sénégal pourrait servir de modèle en Afrique.
Agressions – réactions, instabilité des rapports de pouvoir interne : une permanence sur le continent noir mais pas la fatalité ! En Afrique, plus qu’ailleurs « le changement de culture » est devenu une nécessité, une exigence ainsi que nous l’avons montré. Tout nous y incite : le passé, le présent et l’avenir. On l’a dit il est difficile de transformer les mentalités, surtout dans nos sociétés où ce vieux problème est lié à notre histoire et à nos valeurs et principes. Mais la vie est mouvement et le monde est mécanique. Arrêtons le mimétisme aveugle et rassemblons nos forces. Construisons enfin la puissance africaine que certaines de nos grandes figures historiques appelaient de tous leurs vœux et sacrifièrent leur vie pour sa réalisation. Ayons confiance en nous-mêmes. Cessons de nous laisser confiner dans cette image du Noir d’Afrique resté le même « depuis le néolithique » (F. Iniesta) incapable de créativité et d’inventivité pour transformer la nature. Ayons confiance en nos capacités intellectuelles réelles et potentielles avec l’atout que constitue la jeunesse de nos populations. Réhabilitons par une volonté politique sans faille nos langues nationales car les langues d’emprunt sont loin d’être indifférentes à la formation de nos esprits. Démocratisons la quête des savoirs et ouvrons-nous aux sciences et techniques. Ainsi nous aurons créé un humanisme africain ; avec notre spiritualité légendaire.
Dr. Adama Baytir DIOP, Historien, ancien enseignant à l’UGB de Saint Louis
1) Elisée E Mba « Démocratie et développement en Afrique face au libéralisme »
L’harmattan Paris 2002
2) Ousmane Blondin Diop « Les héritiers d’une indépendance » NEA Dakar 1982
L’AFRIQUE POST COVID 19 : Le double défi de la réalisation de l’unité des peuples et de la réforme de l’Etat post – colonial
La pandémie du Corona virus 19 et son impact dans tous les domaines de l’activité humaine ont engendré un certain nombre de réponses que certains appellent « un changement de culture ». En effet, partout dans le monde, par instinct de conservation, dirait-on la sauvegarde de la vie humaine a prévalu sur la recherche des biens matériels. Selon le psychiatre et psychanalyste Boris Crylnik les peuples ne doivent plus laisser leurs dirigeants repartir comme avant, à la fin de la crise qu’il appelle d’ailleurs « catastrophe ». En tous les cas l’Afrique doit tout mettre en œuvre pour sortir de la situation de ghetto où l’Occident et (accessoirement) l’Asie a largement contribué à la confiner depuis des millénaires.
A ce sujet, l’histoire semble se répéter, en ce sens que dans la longue durée il y’a la permanence des données : la volonté de puissance et de richesse de nos voisins, l’abondance et la diversité de nos ressources naturelles mais il y’a aussi notre résilience d’Africains. Ce qui a changé ce sont les circonstances de temps, et c’est très important ! Car forts de ces expériences faites de malheur et de déshonneur plutôt que de reconnaissance par les autres de notre dignité d’homme nous pouvons changer notre situation actuelle parce que l’histoire est aussi un instrument de libération pour celui qui a la conscience de sa propre évolution. Il s’agit de se débarrasser de cet héritage lourd de notre passé avec les autres par un « ndeup » ; une psychothérapie libératrice ; autrement dit en refusant d’être les éternelles victimes et en orientant nos esprits vers la vraie reconnaissance de notre dignité d’homme.
I : Africains ! Portons les masques et faisons les gestes barrières
La maladie du Covid 19 est survenue en ce moment même où l’Afrique, longtemps traitée de « continent pauvre », « sans histoire », « pas civilisé » , « sans gloire », « sans héros » est redevenue l’objet de l’attention de ces anciens bourreaux qui se projetant sur le futur dans le cadre de cette perpétuelle rivalité pour la puissance et la richesse des nations, cherchent à séduire les Africains pour de nouveau mettre la main sur les richesses de leur continent sans commune mesure avec celles que recèlent les leur. Ainsi d’aucuns parmi ces gens – là déclarent que les images dégradantes sur l’Afrique sont « révolues » car disent –ils, il y’avait quand même des empires au Moyen âge sur le continent noir, il y’a eu des réussites « scientifiques » et « techniques » : avec l’astronomie dogon, certains « procédés thérapeutiques » comme le « vaccin » antivariolique des prêtresses du Vaudou, le culte de possession pratiqué par les Lèbous du Sénégal pour guérir les maladies neuropsychiatriques (ndeup en Wolof).
On sait que « l’inventivité culturelle des Africains » (musique, danse, sculpture) est reconnue, depuis l’âge d’or de l’anthropologie structurale. Bref, pour ces gens prétendument amoureux de l’Afrique, celle-ci est subitement devenue « la terre bénie de Dieu », « le nouvel eldorado », « le continent des enjeux énergétiques », « une des bonnes nouvelles de l’économie mondiale » etc. On ne tarit pas de propos flatteurs pour le continent noir. C’est donc la déconstruction ! Ce qui veut dire la défaite de la pensée logique, l’effondrement même de l’esprit rationnel. De leur côté, les Chinois déjà très présents sur le continent parlent « de grands projets avec l’Afrique » et mettant en exergue leurs investissements considérables dans le domaine des infrastructures, ils vantent leur esprit d’ingénierie, pour accroitre leur influence. Tout cela doit nous rappeler le renard et le corbeau de la fable. En effet, les déboires subis depuis les indépendances doivent instruire nos dirigeants de l’immoralité et de l’amoralité (Aron) de la politique internationale et les amener à accomplir leur devoir avec une forte dose de patriotisme, de lucidité, de courage et d’abnégation. Ceci malgré la complexité de la situation actuelle caractérisée par la pauvreté qui règne sur le continent et la trop grande dépendance (économique, financière, commerciale, politique, voire culturelle) de nos micro-Etats vis-à-vis des puissances étrangères qui nous prennent à la gorge.
Mais il n’y a pas que cela : ce regain d’intérêt pour notre continent s’accompagne de l’idée sournoise et cynique de réduire drastiquement sa population jeune dont la croissance rapide est un sujet d’inquiétude pour les pays occidentaux qui eux connaissent actuellement le vieillissement démographique et donc la diminution progressive de leur population. En effet, concernant le rapport entre la population mondiale et les ressources disponibles, les projections n’incitent guère à l’optimisme. Or, l’Afrique sera une des toutes premières puissances démographiques de la planète. A défaut pour les Européens de pouvoir envahir notre continent comme par le passé, certains esprits racistes et alarmistes pensent qu’il faut tout mettre en œuvre pour empêcher que le surpeuplement pousse les Africains à « envahir » dans un proche avenir les pays du Nord par le biais de l’immigration massive dont les prémices récentes sont le « Barça » ou « Barsax » (l’Europe ou la mort) et les Africains en transit en Afrique du Nord. Donc, le spectre de l’Afrique surpeuplée et prête à déverser son trop-plein sur l’Europe hante certains esprits. Ce n’est donc plus le « péril jaune » des années 1960, puisque la Chine est devenue riche mais un « péril noir » qu’on ne dit pas tout haut. Voilà les fantasmes qui envahissent les esprits. Et tous les moyens sont bons pour parer à toute éventualité : la persuasion par des campagnes pour l’utilisation des méthodes contraceptives, la limitation des naissances, la stérilité mais aussi l’accès des grandes étendues de terre arable sur le continent.
Mais ce qui est plus grave si c’est un fait avéré, c’est que ce qui aurait dû servir exclusivement comme arme de dissuasion dans les rivalités entre les grandes puissances (à savoir les laboratoires de virologie) serait utilisé pour endiguer l’expansion démographique de l’Afrique. Il en serait ainsi avec la propagation du VIH SIDA en Afrique et plus récemment l’apparition du virus Ebola en 2014 avec son extension curieusement limitée au seul continent noir…
II : EN GUISE DE DECONFINEMENT : L’unité africaine comme réponse à la marginalisation
Quoi qu’il en soit il apparait que le covid 19 est un puissant facteur d’unification des élites intellectuelles africaines qui ont saisi l’occasion, transcendant les barrières linguistiques pour réfléchir et agir à l’unisson et manifester leur solidarité et en même temps montrer à la face du monde (surtout à leurs homologues) leur volonté de voir reconnaitre leur égale dignité d’homme (et de femme) avec les Blancs et les Jaunes et donc d’être traitées sur un pied d’égalité. Il n’en fallait pas plus pour que cet élan panafricaniste naisse et s’affirme après les prédictions catastrophistes annoncées sur l’Afrique, la mise à l’index d’immigrants africains comme bouc émissaires, accusés d’avoir propagé la maladie en Chine ; l’incurie dont l’OMS a fait preuve concernant l’Afrique avec Ebola puis avec Covid 19. De nombreuses voix s’élèvent sur notre continent pour demander de hâter le processus d’unification politique jusqu’à la suppression des frontières et la mise sur pied d’une fédération africaine. Celles dont rêvaient Kwame Nkrumah et Cheikh Anta DIOP et d’autres avant eux ; des Noirs de la diaspora.
En effet, créer un Etat fédéral qui regrouperait nos micro-Etats c’est favoriser l’émergence d’une puissance politique africaine capable de tenir tête à celles qui mènent le monde ou aspirent à le faire. Mais le chemin est plein d’embûches. L’Etat-nation s’est ossifié en Afrique et l’égoïsme national avec, et l’absence de convictions panafricanistes chez la plupart de nos dirigeants constituent une barrière malgré l’exigence de renforcement de l’interdépendance pour améliorer la condition des peuples africains. Il y’a surtout l’attitude des grandes puissances étrangères qui depuis nos indépendances nominales ne cessent de décourager toute politique destinée à favoriser le développement de nos pays pour nous enferrer dans une situation d’éternelle dépendance. Tout cela fait sous le voile du discours idéologique relayé par de puissants et influents médiats et des organismes d’intégration portant le manteau de défenseurs des droits humains. Instruits par les vicissitudes du passé et résolument tournés vers la transformation de notre condition de Noir africain nous ne devons pas transiger sur les moyens de parvenir à ce noble objectif. Lorsqu’un peuple prend la résolution de vivre il brise les chaines de la domination. Dans cette perspective, la poursuite de l’idéal panafricain doit se faire concomitamment avec une réforme de l’Etat-nation issu de la décolonisation. Presque partout sur le continent la république a été choisie comme forme de gouvernement. Or, la forme républicaine de l’Etat calquée sur le modèle européen n’est pas en adéquation avec nos réalités sociales et culturelles. De la même manière, la démocratie parlementaire aussi a été plaquée sur nos sociétés. Or, chacun a « le droit de combiner librement sa participation à un monde désirable et les multiples facettes de son identité » (A. TOURAINE). Voila qui est bien dit.
III : REFORMER L’ETAT-NATION EST UNE EXIGENCE
Cette greffe de la modernité (réalisée par le colonisateur et qui a tenu après son départ) sur nos formes de sociétés traditionnelles a engendré un clivage entre une minorité formée par les élites intellectuelles sorties de l’école moderne instituée par l’administration coloniale et une large masse de gens analphabètes ou illettrés. Le Sénégal, la plus ancienne colonie française d’Afrique noire a connu une évolution spéciale que nous analyserons assez brièvement à travers le gisement de l’espace d’expériences saint -Louisien. Mais avant, nous examinerons la démocratie en Afrique à la loupe de deux auteurs africains qui appartiennent à deux générations différentes. Il s’agit du Sénégalais Ousmane Blondin DIOP (1982) et du Gabonais Elysée Eyène MBA (2002). Celui-ci généralise son jugement, Celui-là se penche sur le cas du Sénégal. Mais tous sont d’accord pour dire que la démocratie en Afrique est conçue pour servir les intérêts des élites au détriment des peuples : « La démocratie en Afrique repose sur le principe faux que le gouvernement élu est libre de gérer la nation selon ses caprices parce qu’il est l’expression de la majorité. Cette vision politique débouche sur l’emploi abusif du pouvoir de contrainte dans la mesure où celui-ci n’est pas exercé pour la sauvegarde de l’intérêt général mais plutôt pour la satisfaction des intérêts particuliers » (Elysée Eyène MBA) (1) ; « L’accession à l’indépendance développera une même conception de la politique (au sein des partis politiques à l’exception du PAI marxiste : c’est nous qui soulignons) : celui qui a le pouvoir peut en user et en abuser sous toutes les formes. Il favorise son clan, sa famille, ses amis et sa puissance repose sur une clientèle qu’il entretient aux frais de la collectivité » (Ousmane Blondin DIOP) (2).
Cette conception de la politique et de la démocratie en fait une source de division. Elle annihile l’élan patriotique et favorise la corruption, les détournements de deniers publics. Elle a élargi le fossé entre élites et classes populaires. En même temps elle a créé un antagonisme permanent au sein même de la classe politique. D’où les sempiternelles dissensions qui accompagnent les conflits où l’on met en avant la personne du leader plutôt que son programme et ses idées. Une situation que l’on peut constater partout sur le continent. Ce qui a beaucoup retardé l’éradication de la pauvreté ou accentué la paupérisation des masses (c’est selon) favorisant l’enrichissement et la reproduction de l’élite minoritaire. Pour mettre fin à ce « mimétisme aveugle »il urge donc de promouvoir les langues nationales au rang de langues d’enseignement dans les systèmes éducatifs avec des objectifs et programmes qui promeuvent la liberté mais aussi le développement de l’esprit scientifique dans la perspective de reprise de l’initiative historique (Cheikh Anta DIOP).
Après quoi, tout sera possible : «la tropicalisation » de la démocratie, l’éclatement de notre génie créateur, l’industrialisation du continent. Dans ce cadre de reconstitution de notre identité culturelle, l’autre exigence sera la restitution de leur cohérence interne à nos systèmes de valeurs (cultures) désorganisés par les colonisateurs. Ceci devra se réaliser avec les emprunts culturels nécessaires à notre réel enrichissement.
IV : LE MODELE SAINT LOUISIEN
Il est difficile d’étudier en quelque lignes l’évolution qui fit de l’ancien comptoir français dénommé St -Louis-du Sénégal la ville chef-lieu de la colonie Sénégal cumulant momentanément cette fonction avec celle de capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF) puis avec celle de capitale de la Mauritanie. Cette évolution eut lieu du XVIIe au XXe siècle en deux étapes : le temps du mercantilisme (1643 – 1817) et celui de la domination coloniale (1817 – 1960) dans un espace où vécurent deux communautés sur la base de relations matérielles. De part et d’autre du comptoir les négociants français à l’aile sud et les traitants Africains au nord, ces derniers échangeant des cuirs, des peaux, de l’or, des esclaves et à partir du XVIIIe siècle la gomme arabique principalement contre des tissus, des barres de fer, des armes, des pacotilles etc…
Chacune des communautés allait s’accroître mais de façon inégale : autour des Blancs des Métis et Noirs assimilés les gens étaient beaucoup moins nombreux que dans le quartier des traitants africains, des petits commerçants et artisans qui formaient autour d’un noyau wolof du Walo et du kajor un creuset où au fil des siècles venaient sans cesse se fondre presque toutes les ethnies du Sénégal et avec la colonisation effective de notre pays et de l’AOF ; des ressortissants de l’actuel Mali, de la Guinée Conakry, de la Mauritanie.
Outre les habitants du Nord auxquels il faut ajouter la présence permanente de familles de maîtres coraniques maures, Wolof, Tukuler, la communauté africaine était composée de pêcheurs et de piroguiers (qui aidaient les passagers des navires à débarquer) de Guet Ndar et par suite, de Goxu Mbacc face à la mer et au nord, des agriculteurs de Sor. Elle trouvait son homogénéité dans la langue wolof ; le mode de vie africain et surtout l’Islam pour les traitants commerçants et artisans.
Au temps du comptoir, les Français se contentaient de prêcher l’ouverture à la modernité par l’exemple, pour « assimiler » les Africains, les amener à adopter le mode de vie européen (lotissement de l’Ile, construction d’édifices au Sud, hygiène, goûts, principes …)
Mais jusqu’au début du XIXe s, le quartier Sud (Sindoné) moins peuplé, était celui des chrétiens et le Nord (Lodo) plus peuplé celui des musulmans.
A partir de 1817, les Gouverneurs français eu égard à la volonté de coloniser le Sénégal, utilisèrent d’autres instruments de la modernité en plus de ceux antérieurs : l’école moderne (en 1819 avec la laïcité puis l’école des Missionnaires et en 1855 réintroduction de la laïcité à côté de l’école Missionnaire, le Code civil 1830 ; l’édification de la 1ere Église d’Afrique occidentale en 1828, d’autres équipements civils : tribunal ; hôpital ; écoles). Par le principe de la participation des Africains « évolués » à la gestion de leurs propres affaires ; l’administration coloniale entendait convaincre, persuader et amener un nombre de plus en plus important d’indigènes à collaborer en toute spontanéité à l’entreprise de colonisation. Ainsi, les institutions politiques métropolitaines dont l’introduction au Sénégal fut réclamée par les négociants blancs et métis : le Conseil Général (1840 puis 1879), la Représentation parlementaire (1848 puis 1872) et la Commune de plein exercice (1872 St Louis et Gorée ; Rufisque 1880 et Dakar 1887) pouvaient compter des indigènes citoyens français parmi les hommes qui les animaient.
Les traitants et les membres citoyens de leur communauté qui habitaient les faubourgs de Guet-Ndar, Sor et à partir de 1884, les citoyens de Goxu Mbacc s’accommodèrent à la nouvelle stratégie mais réussirent à obtenir les moyens qui leur permirent de préserver leur identité d’Africains et de musulmans. Après l’érection de l’Eglise dans le quartier Sud, les traitants demandèrent l’autorisation de construire une mosquée dans leur quartier : celle-ci fut érigée de 1844 à 1846 sur le plan d’un architecte de l’administration. Ils obtinrent ensuite l’institution d’un tribunal musulman (1856) pour les affaires entre indigènes et aussi les mariages, successions etc. Après l’experience réussie en 1819 par l’instituteur Lillois Jean DARD le rétablissement par Faidherbe de l’école laïque fut une nouvelle occasion pour les enfants musulmans de fréquenter l’école moderne. Enfin une Medersa (école franco-arabe) fut ouverte dans la ville au début du XXe. Cette politique d’ouverture destinée à combattre leur attitude « pro-musulmane et antifrançaise » (Mamadou Diouf) renforça plutôt leur attachement à leurs valeurs et à leurs croyances.
Ainsi l’espace st-Louisien, laboratoire de la modernité en Afrique noire put devenir un point de passage obligé dans leur parcours pour les cadres (les tout premiers en Afrique noire) et intellectuels tous originaires des quatre Communes ou venus de divers horizons du Sénégal et d’ailleurs. Le modèle st-Louisien est caractérisé par l’esprit d’ouverture sur la base de l’attachement profond aux principes et valeurs des cultures négro-africaines et aux convictions religieuses musulmanes. Et par conséquent le refus de la non-reconnaissance de cette identité.
Ainsi donc, des Africains musulmans vécurent pendant plus de 300 ans sans perdre leur âme dans un espace restreint avec des chrétiens (Blancs, Métis et Noirs assimilés) ; dans le respect mutuel de leurs différences, avec en partage les instruments de la modernité : l’autorité administrative, l’école moderne, les inventions techniques, la république, la démocratie, les institutions politiques et administratives, l’armée…
Poussant la logique jusqu’au bout la génération actuelle de dirigeants politiques sénégalais s doit faire ce que celles qui l’ont précédée depuis les indépendances n’avaient pas réussi à faire : s’approprier ce passé en « en retrouvant l’esprit qui permet de faire d’aussi grandes choses … » (P. Valery). Autrement dit, instruits par l’expérience saint-Louisienne, accommodons le contenu de la république et de la démocratie occidentale à nos traditions revues à l’aune des exigences de notre temps. « L’Etat africain ne devrait pas rechercher son substrat dans une hypothétique cohésion nationale mais plutôt dans l’hétérogénéité qu’il parviendrait à gérer en réalisant un compromis sur les institutions » (Babacar GUEYE : constitutionaliste). En effet, avec l’abandon du jacobinisme et le retour aux valeurs africaines de solidarité, de partage et de participation à la vie collective et un souci de satisfaire aux exigences de notre époque, nous éviterons le gâchis que constituent l’exclusion et la dispersion des intelligences et des énergies, les frustrations et les rancœurs si préjudiciables à l’œuvre de construction nationale et à la réalisation de l’unité africaine. Le Sénégal pourrait servir de modèle en Afrique.
Agressions – réactions, instabilité des rapports de pouvoir interne : une permanence sur le continent noir mais pas la fatalité ! En Afrique, plus qu’ailleurs « le changement de culture » est devenu une nécessité, une exigence ainsi que nous l’avons montré. Tout nous y incite : le passé, le présent et l’avenir. On l’a dit il est difficile de transformer les mentalités, surtout dans nos sociétés où ce vieux problème est lié à notre histoire et à nos valeurs et principes. Mais la vie est mouvement et le monde est mécanique. Arrêtons le mimétisme aveugle et rassemblons nos forces. Construisons enfin la puissance africaine que certaines de nos grandes figures historiques appelaient de tous leurs vœux et sacrifièrent leur vie pour sa réalisation. Ayons confiance en nous-mêmes. Cessons de nous laisser confiner dans cette image du Noir d’Afrique resté le même « depuis le néolithique » (F. Iniesta) incapable de créativité et d’inventivité pour transformer la nature. Ayons confiance en nos capacités intellectuelles réelles et potentielles avec l’atout que constitue la jeunesse de nos populations. Réhabilitons par une volonté politique sans faille nos langues nationales car les langues d’emprunt sont loin d’être indifférentes à la formation de nos esprits. Démocratisons la quête des savoirs et ouvrons-nous aux sciences et techniques. Ainsi nous aurons créé un humanisme africain ; avec notre spiritualité légendaire.
Dr. Adama Baytir DIOP, Historien, ancien enseignant à l’UGB de Saint Louis
1) Elisée E Mba « Démocratie et développement en Afrique face au libéralisme »
L’harmattan Paris 2002
2) Ousmane Blondin Diop « Les héritiers d’une indépendance » NEA Dakar 1982