Départementalisation de Keur Massar ?
Effaçons une page d’histoire pour avoir un monde sans âme ?
Face aux inondations récurrentes la colère1 des populations de la banlieue de Dakar et
leur promptitude à en imputer la responsabilité aux autorités de l’Etat et en particulier au chef
de l’Etat peuvent amener ce dernier à prendre des décisions dont l’objectif immédiat est de
faire revenir le calme et la sérénité.
Ce qui peut être un recours efficace dans un pays où « la parole et le verbe sont magie, car
la parole crée le nommé par sa vertu intrinsèque » ainsi que le disait à juste titre l’ancien
Président poète Léopold S Senghor.
Dans le cas présent, c’est Keur Massar qui vient de recevoir la visite du Président de la
République apportant en guise de présent, un projet de départementalisation destiné à
remonter le moral et à réconforter ses habitants. Un effet d’annonce comme point d’orgue
après son engagement à faire évacuer daredare toutes les eaux qui ont envahi rues, places
publiques et habitations dans cette localité qui a récemment connu une rapide extension. A
Mbao aussi (où le Président de la République n’est pas venu) les populations ont crié leur
colère mais en sus, leur indignation, car paraît –il, les eaux pluviales provenant de la
commune voisine de Keur Massar, de l’autoroute à péage et de diverses localités
environnantes vont être drainées vers le marigot qui traverse de part en part tout le territoire
communal avant de frôler le rivage. Un marigot chargé d’histoire dont les riverains
s’inquiètent de l’envahissement des eaux auxquelles se sont mêlées des eaux usées qui, en
permanence dégagent une odeur fétide. Le fait que la mer avance inexorablement et souvent
remonte avec furie la petite bande de terre qui la sépare des deux bras du marigot constitue
une situation dangereuse pour les pécheurs et leurs pirogues mais aussi pour les riverains dont
les domiciles sont envahis par les eaux, parfois en pleine saison sèche. C’est pourquoi les
populations parmi lesquelles les champions de lutte Eumeu Séne et Gris Bordeaux exigent, à
juste raison, des mesures d’accompagnement, ainsi que le quotidien ‘‘l’Enquête’’ s’en est fait
récemment l’écho. « Le marigot doit être aménagé, c’est un besoin impérieux !» disent à
l’unisson les jeunes regroupés autour de la plateforme pour le Développement Durable de
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Mbao dont Guirane Diéne est le coordinateur. En effet, c’est la solution qui permettra de
dissiper l’anxiété non seulement des riverains et des pécheurs mais aussi des habitants de
Keur Mbaye Fall, Kamb, Toll Diaz etc… qui subissent aussi certaines incommodités.
Mais l’autre grave problème qui accroit la frustration des habitants de la commune de
Mbao est cette annonce de la départementalisation de Keur Massar. Ce qui se ferait au
détriment de Mbao. Ce que, selon toute apparence l’ancien Président Abdoulaye Wade
hésitait à faire, pour ne pas provoquer un déséquilibre administratif et politique susceptible
d’entraver l’harmonie sociale et le progrès des populations dans cette vaste zone qui, il est
vrai, ne peut et ne doit plus être gérée administrativement à partir de Pikine.
En tout état de cause il existe des critères de choix d’une ville comme chef-lieu de
département … les activités économiques, l’homogénéité sociale, la démographie sont
notamment prises en compte. Il semble que ce dernier critère ait guidé dans le choix de Keur
Massar. Dans ce cas comment comprendre que dans la perspective d’un Sénégal émergent
l’on fasse abstraction du fait que Keur Massar n’est qu’une ville dortoir ? En effet, c’est dans
la zone de Mbao que sont implantées les unités industrielles et certaines parmi les plus
importantes du Sénégal (la SAR et les ICS en plus de PATISEN et d’autres établies depuis le
temps de la Z.F.I). Ceci, en sus de la pêche traditionnelle e du maraichage dans la forêt de
Mbao, elle aussi, chargée d’histoire.
L’histoire, parlons-en ; parce que les représentations historiques constituent un des
fondements essentiels du vivre ensemble dans un espace social. Mbao, village pluri-séculaire
lébu a fait naître Keur Massar sur un de ces nombreux lieux dits qui constituent ce qu’on
appelle aujourd’hui la forêt de Mbao, un lieu-dit dénommé ’’ Banxas ‘’en wolof (branchages
en français). En effet le territoire de Mbao s’étendait du littoral nord au littoral sud et de l’axe
Mbeubeuss-Boune à l’ouest au cap des Biches à, l’Est. Dans cette zone des Niayes, qui sont
des dépressions inter-dunaires, les habitants de Mbao pratiquaient des cultures pluviales
(arachide essentiellement) sur les sols dunaires (diors en wolof) et des cultures légumières de
saison sèche (patate, choux, tomate…) sur les bas-fonds (deurs en wolof). Banxas, Mbass,
Nguêne Golo, Xoly, Beul, Ndiakane, Mbeubeuss etc… autant d’appellations toponymiques
dont la signification se perd dans la nuit des temps. Aucun pouce de terrain dans ce terroir
n’échappait à la propriété coutumière des habitants de petit Mbao et grand Mbao qui ont
toujours combiné la pêche et l’agriculture. Un terroir dont l’administration coloniale détacha
800ha à la fin du XIX e
siècle pour en faire plus tard la 2éme zone de captage (après Hann),
pour l’alimentation en eau potable de la ville de Dakar. De nouvelles espèces végétales,
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l’anacardier et l’eucalyptus furent plantées sur les sols diors tandis que les deurs restaient le
domaine du palmier à huile. Mais même dans ce domaine public le colonisateur ne spolia
aucun propriétaire coutumier. En 1936 au titre de ‘’ Mbao et Dépendances’’ les Mbaois
obtinrent un siège au Conseil Municipal de Dakar. Des infrastructures (alimentation en eau,
voie d’accès, une école) allaient être construites à grand Mbao d’abord ensuite petit-Mbao,
Keur Mbaye Fall, Kamb. Mais le désenclavement de banxas (Keur Massar) situé à 4km ne se
fera que beaucoup plus tard.
Mbao est un lieu de vie où de grandes figures historiques du Sénégal avaient une ou
des ascendances. Des guides spirituels comme Serigne Mansour SY, Khalif Général des
Tidjianes , Mame Alassane Thiaw LAYE ,Khalife Général des Layénes, des chefs coutumièrs
comme les Serîn Ndakaaru Abdou Cogna DIOP , Mor Maréme DIOP, des hommes politiques
tels Ibra SECK( Maire de Rufisque de 1929 à 1933 et récemment Assane SECK, ministre,
Demba SECK Député-maire de Pikine, Mamadou SECK, Président de l’Assemblée
Nationale, l’actuel ministre de la Pêche, Alioune NDOYE ; des champions de lutte africaine,
Ousmane MBENGUE et THIAW Mbao qui contribuèrent à faire connaitre la lutte sénégalaise
hors de nos frontières, par des combats d’exhibition dans les territoires de l’AOF , à l’époque
coloniale. Mbao est donc un lieu de mémoire cher à bon nombre de nos compatriotes. Mais,
contrairement aux apparences c’est peut-être le village traditionnel où se réalisa au fil du XIXe
la plus importante interprétation ethnique au Sénégal. Sur le fond lébu, des Séréeres,des
Tukulêrs, des Péls, des Wolofs, des Soninkés, des Mandingues, firent du site historique un
creuset ethnique. En fait, dès le XVIIe s (5 juin 1765) les Français avaient fait de Mbao et son
marigot la limite-est de la presqu’ile du Cap Vert dont ils voulaient faire l’arrière-pays de
Gorée. En 1924 près de 7 décennies après leur installation à Dakar, ils créèrent la
Circonscription Dakar et Dépendances acte par lequel ils détachaient Dakar de l’autorité du
gouverneur du Sénégal établi à St louis et ils refirent de Mbao la limite d’un territoire incluant
Gorée et administré à partir de Dakar. Dans ce dispositif administratif Rufisque sera intégrée
en 1937. Mais l’ensemble fut supprimé en 1946.
L’espace de Mbao voit cohabiter depuis fort longtemps des musulmans et des
chrétiens. Le centre PIE XII devenu une église et le foyer de charité du Cap des Biches sont
des toponymes bien connus au Sénégal.
Mais si nous revenons au critère démographique nous constatons qu’autour du site
historique de Mbao est née aujourd’hui une Ville nouvelle avec l’extension de Petit-Mbao et
de Keur Mbaye Fall, la création des cités Promocap, Ndèye Marie, SIPRES, et l’occupation
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de la ZAC. L’importance numérique de la population pourrait donc s’équilibrer à terme dans
les deux communes. Ville champignon construite à la hâte sur des terres souvent
sommairement aménagées dans les anciens tollu-deurs des Mbaois, donc zone non
aedificandi, Keur Massar est sans passé pour ainsi dire, sans tradition d’organisation
administrative. Contrairement à l’axe Grand-Mbao-Petit-Mbao-Keur Mbaye Fall-Kamb, cette
ville dortoir et ville champignon n’a pas eu le temps de réaliser sa propre homogénéité
sociale. Ce qui doit donner à réfléchir.
Aux dernières nouvelles, cependant le Président de la République envisagerait
d’organiser une large concertation avec les différents segments des populations concernées
avant de prendre une décision. L’espoir est donc permis. Les atouts que notre commune peut
faire faire valoir sont réels aux plans économique, social et culturel. Vivement que les
considérations électoralistes ne prennent le pas sur l’impératif de préservation de l‘intérêt
général !
Il faut convenir avec le Président de la République que le temps est venu de créer un
département dans l’espace public des communes de Mbao et Keur Massar. Et il faut saluer la
démarche qui consiste à organiser une large concertation, préalable à la prise de décision par
laquelle l’une des deux villes sera préférée à l’autre. Souhaitons que cela se fasse au nom de
la Raison et du Progrès, avec le souci de réaliser à terme l’unité et la cohésion de cet espace
social. « Un politicien est quelqu’un qui pense à la prochaine élection tandis que
l’homme d’Etat pense à la prochaine génération … » ce propos attribué à James Freeman
Clarke est à méditer. Mais la sagesse africaine n’est pas un vain mot.
Dr Adama Baytir DIOP
Mbao
adabaytir@yahoo.fr
Mbao le 20/09/2020